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PORTRAIT & AFFINITÉS
David Lafore, entre art brut et saudade

Ovni musical, prince du contresens, doux dingue, huluberlu, pince sans-rire de la chanson… On entend tout au sujet de David Lafore, mais finalement, on ne sait rien ! Hormis sa propension naturelle à la fantaisie surréaliste, dans la droite veine des paroliers caustiques, qu’il trimballe depuis 30 ans, depuis le groupe David Lafore Cinq Têtes, et vérifiée disques après disques, concerts après concerts. C’est en solo que ce créatif hyperproductif trace aujourd’hui sa route, sensible, singulier, toujours. Dans le moule, jamais. À l’occasion de la sortie ce 1er décembre de son EP autoproduit « Toc toc toc », délicieusement entêtant, conversation avec un chanteur-poète qui écrit (si bien) son blues comme il respire, et nous fait autant sourire que réfléchir… Tendre et étonnant, comme un copain de classe qu’on voudrait ne jamais voir grandir.

 

Auteur, interprète, compositeur, tu oscilles librement entre les styles de la chanson française, électro, rock, voire hip hop dans ce nouvel EP… tu es autant insatiable que curieux. Quel est ton parcours ?

J’ai commencé adolescent, à 14 ans, on faisait de la new-wave, du reggae, du punk. Je chante encore parfois la première chanson que j’ai écrite, « Pépé, Mémé ». Je me suis astreint à écrire un peu plus ces derniers temps, car quand l’histoire du groupe David Lafore Cinq Têtes s’est arrêtée, en 2007, j’ai laissé passer 8 ans… ça a été si vite ! J’ai quand même fait entre temps la BO d’un film de Bruno Podalydès, « Bancs Publics ». Mais un jour je me suis dit, ça suffit, faut s’y remettre et arrêter de juger trop mon écriture, essayer d’être moins « mêtré », plus libre.

Donc aujourd’hui tu joues (le plus souvent) en solo. Pourquoi ?

Pour le 3e album, j’avais remonté une équipe avec deux musiciens pour les concerts. Mais quand on voit tout le travail pour 15 concerts, j’ai dit non, ça ne vaut pas le coup ! J’ai décidé de partir tout seul, partout ! Dans les fermes, le milieu associatif, les cafés, chez les gens…

Depuis un an et demi, je fais quelques concerts avec Gildas Etevenard, un rare batteur littéraire ! C’est super d’être en duo percussif, moi à l’harmonie à la guitare et au chant. Mais je garde les deux, j’aime faire du chemin en tête à tête avec le public. L’hybridation spectacle-concert marche encore plus. 

Tu joues dans des tout petits lieux mais également dans les Scènes nationales, tu seras en tournée Nomade à la Garance au printemps… C’est un peu le grand écart, non ?

Il y a une partie des dates que je trouve moi, c’est mon côté barde, troubadour et mon tourneur assure les autres, dans des lieux plus « normaux ». Je suis plutôt à l’aise partout, je n’ai pas de souci avec ça. 

Quand tu enregistres, tu es seul aussi ?

Je fais beaucoup de choses tout seul, mais les deux derniers albums sont travaillés avec Christophe Van Huffel, réalisateur pour Christophe, celui des Mots Bleus.

Tes disques sont sophistiqués, très produits, vraiment différents de tes concerts plus artisanaux, où tu parais au naturel, en contact avec le public, avec ta guitare pour simple accompagnement. Et tu improvises beaucoup !

Ce sont deux boulot différents l’enregistrement et la scène. Ce que je fais sur scène se construit en impro, je le retiens et ça évolue jusqu’à une forme fixe, que je reproduis. 

Depuis quand existe ton personnage, en chaussettes jaunes et espadrilles, et ses petites phrases lancées comme des bulles d’humour entre chaque morceau ? Une sorte de clown drôle et triste à la fois, à la Buster Keaton, qui trimballe son spleen dans des chansons qui parlent d’amours perdues, de regrets, de séparations, de peurs aussi… et nous fait pourtant rire aux éclats !

Les clowns me reconnaissent comme étant des leurs, c’est vrai. Ce personnage était là depuis le début, mais il prend des formes différentes. C’est plutôt la situation d’être devant des gens qui me transforme, j’ai un réflexe de comédien, de cabotin…

Tes chansons ne sont pourtant pas si drôles…

Ah non, une bonne partie est même grinçante. Certaines sont malaisantes même.

Comment fonctionne ta composition : tu écris les paroles ou la musique en premier ?

Au début, j’écrivais en premier, puis ces derniers temps, c’est la musique qui vient d’abord, avec les machines. Finalement, j’ai remplacé les contraintes des formes poétiques par celles de la musique écrite. Ce sont les mélodies qui deviennent une contrainte pour l’écriture. Mais des phrases peuvent exister d’emblée aussi, parfois.

Ta recette pour faire une bonne chanson, toi qui es si prolifique ?

Peut-être à force d’en faire ! Les chansons doivent être différentes, j’ai l’impression que chacune a son univers, on va de l’une à l’autre, très peu se ressemblent.

Pourtant tu as des thèmes de prédilection qui reviennent, comme des obsessions ?

Oui, la séparation et l’amour mais aussi l’identité, la colère, la dépersonnalisation... Dans mon précédent album, « la Tête contre le mur », le témoignage d’une jeune femme dans « Journal d’une schizophrène » a été un guide à mon écriture. Quand j’étais jeune, j’avais des bouffées d’extrême timidité et d’excentricité, j’alternais… J’observe aussi beaucoup, dans la rue notamment.

L’amour et l’utilisation de la première personne reviennent beaucoup...

Oui, je n’écris qu’à la première personne, ça ne vient pas autrement. Les chansons d’amour ou les séparations, ça rejoint l’idée de dépersonnalisation, j’imagine ce que pense et ce que ressent l’autre. Dans mes chansons, il y a de moi, et après il y a un autre puisque « je est un autre », comme sur scène : c’est moi, par la prise de parole écrite, et la présence sur scène fait qu’on devient un autre. Autant en profiter !

Parlons du nouvel EP qui sort donc ce 1er décembre. Comment est née la chanson « J’aurais dû » ?

Très simplement en fait, je passais rue de la Ré, en vélo, et je croise un clochard qui avait l’air d’être dans une situation désespérée, qui dit « j’aurais dû lui dire ». Là, tout un truc s’est ouvert, mon imaginaire s’est mis en route.

Qu’est-ce qui t’inspire ?

Une phrase que j’entends. D’autres fois, c’est clairement mon vécu, je me laisse aller dans un état que j’ai connu… même si je ne suis pas allé jusqu’au bout. Par exemple, quand j’étais jeune, j’étais à Marseille, je buvais énormément, franchement ça aurait pu déraper. Ne pas savoir où habiter, même si je n’étais pas clairement en danger, j’ai flirté avec ça. Cette chose est restée présente… La chanson « J’ai des clés » (sur le précédent album, ndlr) est tirée d’une réalité : je sais ce que c’est de ressentir le plaisir d’avoir des clés !

Tu es en tournée quasi permanente, il y a un mois tu étais invité par Loïc Guénin (compositeur-musicien et instigateur du M![lieu] à Sault, ndlr) à une carte blanche…

Je travaille énormément, c’est vrai. Discographiquement, ça n’est pas si énorme, il y a six albums et un EP. Mais je fais beaucoup de concerts : 110 par an ! Il y a aussi les clips qui prennent beaucoup de temps et d’énergie. Quand Loïc m’a invité, je lui ai fait confiance mais même si j’ai un jeu particulier qui s’apparente à un jeu de bluesman, je me suis dit peut-être qu’il ne sait pas que je ne suis pas musicien contemporain… 

Des incursions au théâtre, toi qui es si à l’aise au plateau ?

Carrément ! J’ai mis du temps avant de pouvoir gagner ma vie avec la chanson, même si la position de comédien m’a finalement déplu, parce qu’il faut être « choisi ». J’ai été comédien de 20 à 28 ans pour le Badaboum théâtre, une scène jeune public à Marseille.

Tu fais des chansons pour enfants ?

Non, pas du tout. En revanche, les chansons qu’aiment les enfants ne sont pas celles qui plaisent aux parents, comme « petite culotte » ou « assassinat ».

C’est quoi cette petite crotte au tee-shirt sur la pochette de ton EP « Toc, toc, toc » ? 

C’est de la mayonnaise ! C’est une photo prise à 7h du matin dans la continuité de la fête de fin de festival. On mangeait des bulots et de l’aïoli et boum ! cette photo prise sur le vif m’a plu : le cadre, la jugulaire saillante, le côté classe et cracra à la fois… 

La précision et le grunge… ça te ressemble cette dualité ! Tu portes un paradoxe en toi, tu es fait de plusieurs couches : la musique, le texte et l’image aussi qui compte beaucoup. Tu as déjà sorti deux clips pour ton nouvel EP.

Le clip, c’est quelque chose de très intéressant. Ça permet de décaler les choses, comme dans « Toc, toc, toc » où on a filmé à la patinoire. C’était un peu épique, fatiguant mais génial à faire !

Tu ne serais pas un peu boulimique ?

Je travaille beaucoup oui. Et ça fait progresser scéniquement, ça rentre dans le corps. Le rythme, l’écoute… et puis jouer dans des lieux ruraux me permet de rencontrer des gens que beaucoup ne rencontrent pas. Et ça, ça m’intéresse.

Musicien d’art brut, ça te convient ? Comment te qualifierais-tu toi ?

Oui, bien sûr, l’art brut me ressemble. Je me sens complimenté. Même si je suis plus raisonnable et organisé que j’en ai l’air ! Certains morceaux ont l’esprit punk, d’autres ont un côté dada, et à la fois il y a des chansons classiques. Ce que je fais, passer d’une chanson grivoise à une plus tendre, les fantaisistes le faisaient aussi.

En tant qu’artiste autoproduit, quelle évolution souhaiterais-tu ? 

Pour cet EP, on a vraiment fait dans l’ordre, en sortant titre après titre, clip après clip etc… Avec la communication numérique, c’est énormément de boulot. Si un beau label, avec du goût et de la passion, se présentait et me disait « tiens, ça nous plait ce que tu fais ! », je serais partant. Pour la souplesse et la notoriété.

Tu as une écriture fine, profonde malgré l’apparente simplicité, tes textes sont souvent intimes et portent aussi une mélancolie, un fond de « saudade » brésilienne. Envisages-tu d’autres formats ?

J’écris comme ça, quand ça sort, j’en fais des chansons. Tenter autre chose, plus long, faudrait que je m’y frotte… mais d’où écrire ? L’écriture c’est casse-gueule, mais quand tu trouves, c’est tellement magique ! Quand j’écris, je sais que j’ai dit exactement ce que je voulais dire, mais c’est une porte ouverte vers d’autres possibilités d’interprétation. Oui, mes chansons sont intimes mais pas besoin de la rendre visible cette intimité, il faut juste qu’elle y soit pour que ça soit juste. Je fais aussi des sets électro sur le « Bateau Ivre » de Rimbaud que je connais très bien, c’est un poème qui est en moi, et je développe des concerts/lectures de mes chansons et de textes poétiques de Bukowski. On le voit avec cette espèce de caricature mais ce qu’il écrit est magnifique : «Il y a dans mon cœur un oiseau bleu qui veut sortir… C’est assez beau pour faire pleurer un homme.» Un fond de saudade, oui, c’est ça !

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Toutes les infos sur davidlafore.com

(graphisme et photo pochette EP : Delphine Fabro)

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